Chère communauté,
J’espère que vous allez bien. Cette année, je célèbre mes 30 ans, et, en marge des réflexions sur ma crise de la trentaine et mes projets de fête (oui, sous le thème Harry Potter, ne me jugez pas ?), je ressens le besoin d’aborder des sujets qui me tiennent à cœur. Aujourd’hui, je commence une série d’articles sur des thématiques liées aux traumatismes et au cheminement personnel. Et pour inaugurer, je vais vous parler d’un sujet particulièrement complexe : l’excision.
C’est le sujet que j’ai longtemps banalisé parmi mes traumatismes, comme s’il ne me concernait qu’indirectement. Pourtant, en travaillant dessus ces dernières années, j’ai réalisé que je ne « tenais pas le bout » comme je l’avais cru.
L’excision consiste à enlever tout ou une partie du clitoris externe. Pratiquée souvent durant les premières années de vie, elle trouve historiquement ses racines dans des rites de passage marquant l’entrée dans l’âge adulte. Mais au-delà de cette justification culturelle, elle s’inscrit aussi dans une logique de contrôle du corps des femmes, en réprimant leur sexualité, leur autonomie, et en exacerbant les inégalités de genre.
Les conséquences physiques et psychologiques sont souvent lourdes : douleurs chroniques, fistules, infections, complications obstétricales, et bien sûr, un impact sur l’intimité et l’estime de soi. L’excision est une violence profondément ancrée dans les sociétés patriarcales, et ses répercussions se prolongent parfois bien au-delà de l’acte lui-même.
Bien que j’aie été excisée à l’âge d’un an, un âge où la mémoire consciente est encore en construction, mon corps, lui, s’en souvient. C’est ce qu’on appelle la mémoire du corps : une empreinte traumatique qui reste inscrite dans nos tissus, nos émotions et nos réactions. Cette prise de conscience a été un tournant pour moi. Longtemps, j’ai rejeté l’idée d’être une « victime ». Accepter ma douleur et me pardonner à moi-même pour ce que j’ai subi a été un processus long et difficile.
J’ai découvert que cette mémoire pouvait se réveiller de façon inattendue, notamment dans les relations intimes ou dans des discussions sur mon passé familial. Une simple phrase ou une attitude pouvait raviver des émotions enfouies, prouvant que la reconstruction ne concerne pas uniquement le corps, mais aussi l’esprit.
Grâce aux avancées médicales, il est aujourd’hui possible de reconstruire le clitoris. Ce procédé, mis au point par le Dr Pierre Foldès, est désormais accessible dans plusieurs pays africains, dont le Sénégal et le Burkina Faso. Des médecins africains ont été formés pour pratiquer cette opération, permettant à des milliers de femmes de retrouver une partie de leur intégrité corporelle.
J’ai moi-même subi cette opération il y a huit ans. Si physiquement je n’ai pas ressenti de changement significatif, j’ai réalisé avec le temps que ce geste représentait bien plus : il s’agissait pour moi de reprendre le contrôle de mon corps, d’affirmer ma volonté de guérir, même si la route est longue.
Cependant, cette reconstruction physique ne peut suffire à effacer les blessures émotionnelles. Elle est un outil parmi d’autres, un pas vers une ré-appropriation de soi, mais pas une solution miracle.
Lors d’une relation marquante, j’ai été confrontée à ce passé que je m’efforçais de fuir. Mon partenaire d’alors, toxique à bien des égards, a voulu creuser dans mon histoire familiale, me forçant à partager ce que je n’étais pas prête à exposer. Ce fut une épreuve, mais aussi une prise de conscience : ce silence pesant sur mon excision devait être brisé.
La vérité, c’est qu’un traumatisme, qu’il soit physique ou psychologique, nous accompagne toute notre vie. Apprendre à vivre avec ne signifie pas l’oublier ou le minimiser, mais plutôt le regarder en face et travailler à se reconstruire, pas à pas.
Si vous avez été excisée, sachez que vous n’êtes pas seule. Des associations, des thérapeutes, et même des chirurgiens spécialisés peuvent vous accompagner. Le chemin de la guérison commence souvent par une simple discussion, une main tendue.
Parlez-en à votre entourage, notamment à votre partenaire si vous êtes en couple. Construire une relation de confiance et d’acceptation mutuelle est essentiel pour vous réapproprier votre corps et votre plaisir.
Enfin, soyez indulgente avec vous-même. Acceptez que la guérison prenne du temps et que chaque étape, aussi petite soit-elle, est une victoire.
La bise,
Nana Triban